Si nos manuels annoncent une parution en 1830, c’est dès 1829 qu’Alfred de Musset publie son premier recueil poétique, les Contes d’Espagne et d’Italie. Le jeune romantique est alors âgé de 19 ans et fait déjà parler de lui. Du Cénacle aux demi-mondaines parisiennes, celui qui se plaît à moquer le maître Victor Hugo acquiert sa sulfureuse réputation de dandy débauché.
De par la variété des textes et le mélange des genres, les Contes d’Espagne et d’Italie apparaissent comme un catalogue des thèmes romantiques. On y trouve aussi bien des sonnets que des ballades en passant par la poésie narrative, le théâtre ou la chanson, comme Madrid, qui en est extraite.
Madrid
Madrid, princesse des Espagnes,
Il court par tes mille campagnes
Bien des yeux bleus, bien des yeux noirs.
La blanche ville aux sérénades,
Il passe par tes promenades
Bien des petits pieds tous les soirs.
Madrid, quand tes taureaux bondissent,
Bien des mains blanches applaudissent,
Bien des écharpes sont en jeux.
Par tes belles nuits étoilées,
Bien des senoras long voilées
Descendent tes escaliers bleus.
Madrid, Madrid, moi, je me raille
De tes dames à fine taille
Qui chaussent l’escarpin étroit ;
Car j’en sais une par le monde
Que jamais ni brune ni blonde
N’ont valu le bout de son doigt !
J’en sais une, et certes la duègne
Qui la surveille et qui la peigne
N’ouvre sa fenêtre qu’à moi ;
Certes, qui veut qu’on le redresse,
N’a qu’à l’approcher à la messe,
Fût-ce l’archevêque ou le roi.
Car c’est ma princesse andalouse !
Mon amoureuse ! ma jalouse !
Ma belle veuve au long réseau !
C’est un vrai démon ! c’est un ange !
Elle est jaune, comme une orange,
Elle est vive comme un oiseau !
Oh ! quand sur ma bouche idolâtre
Elle se pâme, la folâtre,
Il faut voir, dans nos grands combats,
Ce corps si souple et si fragile,
Ainsi qu’une couleuvre agile,
Fuir et glisser entre mes bras !
Or si d’aventure on s’enquête
Qui m’a valu telle conquête,
C’est l’allure de mon cheval,
Un compliment sur sa mantille,
Puis des bonbons à la vanille
Par un beau soir de carnaval
Alfred de Musset (1810-1857)
Extrait des Contes d’Espagne et d’Italie (1830)
Cette réputation était en partie fausse, dandy, oui, pour le reste célibataire qui ne nuisait à personne mais son indépendance gênait – amicalement