Entre essoufflement du courant surréaliste et Deuxième Guerre mondiale, Jules Supervielle fait partie de ces auteurs que l’on qualifie d’entre deux mondes. Originaire de Montevideo, le poète navigue entre deux continents, deux cultures et surtout deux inspirations. Des Gravitations en 1925 jusqu’au Corps tragique en 1959, il réinvente ses propres règles en laissant l’imaginaire s’inviter subtilement dans une poésie guidée par la transparence et la réalité.
La Goutte de pluie
Je cherche une goutte de pluie
Qui vient de tomber dans la mer
Dans sa rapide verticale
Elle luisait plus que les autres
Car seule entre les autres gouttes
Elle eut la force de comprendre
Que, très douce dans l’eau salée,
Elle allait se perdre à jamais.
Alors je cherche dans la mer
Et sur les vagues, alertées,
Je cherche pour faire plaisir
À ce fragile souvenir
Dont je suis seul dépositaire.
Mais j’ai beau faire, il est des choses
Où Dieu même ne peut plus rien
Malgré sa bonne volonté
Et l’assistance sans paroles
Du ciel, des vagues et de l’air.
Jules Supervielle (1884-1960)
Extrait de La Fable du monde, Gallimard (1938)
J’aime Bien !!