Tous les valets n’ont pas été acteurs de cinéma. Lui, si. Mais ce valet-là est une parodie, un tyran qui congédie le personnel de son maître à coups de couteau, dort dans son lit, lui interdit les émissions de variétés et l’habille en Nike et blouson de cuir. Méchant mensonge ou vrai journal ? Le maître, asservi aux volontés de son valet, laisse planer le doute…

Ça ne doit pas être simple de vivre avec son valet. Surtout celui-là. Un valet, qui a l’air d’un tueur en puissance, congédie votre personnel à coups de couteau, en prétendant que c’est de l’argent fichu par les fenêtres. Un valet qui vous donne des conseils vestimentaires et vous interdit de regarder les variétés à la télévision, capable selon son humeur de gestes délicats ou de colères épouvantables.
Un valet à qui on donne une procuration à la banque, qui en profite pour lancer des ordres d’achat en Bourse, dort dans le lit de son maître, et son maître dans le salon.

Son valet ne partira pas

Sans doute s’agit-il d’un valet extraordinaire ? Tous les valets n’ont pas été acteurs de cinéma. Heureusement qu’il n’a tourné qu’un seul film, oublié d’ailleurs. Pourvu qu’on ne lui en propose pas un autre. Peut-être qu’il partirait… Et alors que deviendrait son maître, vieil auteur incontinent de pièces de boulevard à succès ?
Que deviendrait le récit qu’il a entrepris d’écrire en cachette de son serviteur ? En cachette, forcément, puisqu’il raconte tout de sa vie avec son valet. Non. C’est décidé. Son valet ne partira pas.

À Christine, qui m’a découpé dans un magazine la photo de mon personnage, dans l’avion entre Anchorage et Tokyo, et à qui je crains que cette histoire ne dise rien du tout.

Hervé Guibert est l’auteur d’une douzaine de livres, parmi lesquels À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie, Le Protocole compassionnel ou Cytomégalovirus, qui ont rencontré un succès critique et populaire exceptionnel. Il est mort il y a tout juste 30 ans, le 27 décembre 1991 des suites du sida.

Mon valet et moi, roman cocasse

Je n’ai jamais imaginé que mon valet m’aimerait. J’ai plutôt pensé, à partir du moment où j’en ai fait mon valet, qu’il me haïrait. C’était un jeune homme désœuvré qui, par accident, avait obtenu le premier rôle d’un film, et à qui aucun metteur en scène n’avait plus rien proposé. Mal m’en a pris d’avoir eu envie, cet après-midi là, de me fourrer au hasard dans une salle obscure.

Au départ j’avais pensé embaucher, puisque ni mon secrétaire ni mon majordome ne pouvaient endosser ce rôle, et parce que je pétais de plus en plus fort dans ces soirées mondaines où je n’allais presque plus, un jeune homme élégant qui me suivrait pas à pas en public, mais ferait semblant de ne pas me connaître, comme un comparse de prestidigitateur, et s’exercerait à rougir, à toussoter et à s’excuser discrètement à ma place chaque fois que je lâcherais un de ces vents pétaradants.
J’imaginais, quand j’emmènerais ce jeune homme au restaurant pour me tenir compagnie après son travail, que par un accord tacite nous serions convenus qu’il répondrait systématiquement au maître d’hôtel qu’il n’avait aucunement faim, et que moi je broutillerais du bout des lèvres, comme pour ne pas m’y brûler, le nappage d’un plat très copieux, que je pousserais alors sur la table en direction de mon employé, qui le dévorerait goulûment. Malheureusement, rien ne s’est passé comme prévu.