“Dans une superbe indifférence pour les modes et les mots d’ordre, Esther Granek ramène le poème, ce bel exilé, le réinstalle en majesté au cœur de la poésie, lui restitue tous ses pouvoirs et privilèges et nous donne, enfin et à nouveau, des poèmes qui séduisent à la première lecture, qui chantent à l’oreille et au cœur.” Ainsi s’ouvre De la pensée aux mots, un recueil paru en 1997 aux éditions Guyot.
“Qu’importera l’heure. Sombre ou claire …”
Esther Granek, poétesse bruxelloise qui arrive en France en 1940 pour être dans la foulée déportée dans un camp de concentration. Elle parvient à s’échapper. Planquée à Bruxelles sous une fausse identité. C’est une survivante de la Shoah.
Rien d’étonnant alors, à ce que cette femme de lettres disparue en 2016 à Tel Aviv et que certains de ses pairs comparent à Jacques Brel, Paul Fort ou Aragon, se moque des modes et des conventions.
En examinant son parcours, nous avons relu d’une manière quelque peu différente son “Évasion”, poème marin extrait De la pensée aux mots. Face à la mer, “qui viendra battre les rochers… Giflant. Cinglant… Je serai statue de chair… Et me ferai désert”.
Évasion
Et je serai face à la mer
qui viendra baigner les galets.
Caresses d’eau, de vent et d’air.
Et de lumière. D’immensité.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera que ciel léger.
Et je serai face à la mer
qui viendra battre les rochers.
Giflant. Cinglant. Usant la pierre.
Frappant. S’infiltrant. Déchaînée.
Et en moi sera le désert.
N’y entrera ciel tourmenté.
Et je serai face à la mer,
statue de chair et cœur de bois.
Et me ferai désert en moi.
Qu’importera l’heure. Sombre ou claire …
Esther Granek (1927-2016)
Extrait De la pensée aux mots (1997)
Merci pour cette poésie au féminin…