Extrait de son unique recueil publié en 1893, Les Trophées, Le naufragé s’inscrit dans cette ambition parnassienne que cultive le Franco-espagnol José-Maria de Heredia pour retracer en vers l’histoire de notre monde. Un poème sans aurore, sans astre et sans lune, qui nous séduit par sa distance, son objectivité. Ici, l’épique du récit prend enfin le pas sur les sentiments personnels du poète.
Le naufragé
Avec la brise en poupe et par un ciel serein,
Voyant le Phare fuir à travers la mâture,
Il est parti d’Egypte au lever de l’Arcture,
Fier de sa nef rapide aux flancs doublés d’airain.
Il ne reverra plus le môle Alexandrin.
Dans le sable où pas même un chevreau ne pâture
La tempête a creusé sa triste sépulture ;
Le vent du large y tord quelque arbuste marin.
Au pli le plus profond de la mouvante dune,
En la nuit sans aurore et sans astre et sans lune,
Que le navigateur trouve enfin le repos !
Ô Terre, ô Mer, pitié pour son Ombre anxieuse !
Et sur la rive hellène où sont venus ses os,
Soyez-lui, toi, légère, et toi, silencieuse.
José-Maria de Heredia (1842-1905)
Extrait des Trophées (1893)