Publiée pour la première fois en 1929 dans la revue Échanges de Jacques-Olivier Fourcade, L’Inconnue de la Seine reparaît deux ans plus tard chez Gallimard dans le recueil L’Enfant de la haute mer. Dans cette nouvelle, l’écrivain Jules Supervielle fait référence, entre fait divers et conte fantastique, à cette jeune femme non identifiée retrouvée noyée qui, portée par le fleuve, rejoint le fond de l’océan vers le monde des autres noyés.

L'inconnue de la Seine

Selon la légende, le corps de la suicidée aurait été repêché dans la Seine à la fin du XIXe siècle. Saisi par la beauté de la jeune femme, un employé de la morgue aurait fait un moulage en plâtre de son visage. Son masque mortuaire, devenu icône de beauté, ornait les maisons des artistes au début du XXe siècle à Paris.

L’Inconnue de la Seine
Début de la nouvelle

“Je croyais qu’on restait au fond du fleuve, mais voilà que je remonte”, pensait confusément cette noyée de dix-neuf ans qui avançait entre deux eaux. Enfin elle avait dépassé Paris et filait maintenant entre des rives ornées d’arbres et de pâturages, tâchant de s’immobiliser, le jour, dans quelque repli du fleuve, pour ne voyager que la nuit, quand la lune et les étoiles viennent seules se frotter aux écailles des poissons. “Si je pouvais atteindre la mer, moi qui ne crains pas maintenant la vague la plus haute.” Elle allait sans savoir que sur son visage brillait un sourire tremblant mais plus résistant qu’un sourire de vivante, toujours à la merci de n’importe quoi. Atteindre la mer, ces trois mots lui tenaient maintenant compagnie dans le fleuve.

Jules Supervielle (1884 – 1960)
Extrait de L’Enfant de la haute mer (1931)