Adolescent, Antonin Artaud publie ses premiers poèmes dans une revue fondée avec ses amis du collège du Sacré-Cœur de Marseille, sa ville natale. Le jeune acteur et poète est alors inspiré par Baudelaire, Rimbaud et Edgar Poe. Et c’est justement sur un air de Rimbaud qu’il entreprend, à 17 ans, de revisiter le célèbre Bateau ivre de son mentor. 

Un Navire mystique sur lequel l’inventeur un peu fou du concept du “théâtre de la cruauté” relate le voyage mystérieux d’un bateau sombre évoluant sur une mer religieusement agitée. Un poème obscur, à l’image de ce homme tourmenté qui s’était donné pour mission de révolutionner le théâtre et la littérature.

Le Navire mystique

Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus,
Et ses immenses mâts se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de Bible et de Cantiques.

Et ce ne sera pas la Grecque bucolique
Qui doucement jouera parmi les arbres nus ;
Et le Navire Saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.

Il ne sait pas les feux des havres de la terre,
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’Infini.

Le bout de son beaupré plonge dans le mystère ;
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
L’Argent mystique et pur de l’étoile polaire.

Antonin Artaud (1896-1948)
Premiers poèmes, 1913