En 1844, le poète français Alphonse de Lamartine est en voyage à Ischia, une île italienne située dans l’archipel des îles Phlégréennes, au nord du golfe de Naples. C’est là qu’il compose Les voiles, un poème constitué de cinq quatrains écrits en alexandrins aux rimes croisées, dans lequel le voyage en mer devient métaphore de celui de la vie. Le public ne découvrira ce poème qu’après la mort de Lamartine, en 1873, avec la publication de son Œuvre posthume.


Poème sur la mer et le voyage

Les voiles

Quand j’étais jeune et fier et que j’ouvrais mes ailes,
Les ailes de mon âme à tous les vents des mers,
Les voiles emportaient ma pensée avec elles,
Et mes rêves flottaient sur tous les flots amers.

Je voyais dans ce vague où l’horizon se noie
Surgir tout verdoyants de pampre et de jasmin
Des continents de vie et des îles de joie
Où la gloire et l’amour m’appelaient de la main.

J’enviais chaque nef qui blanchissait l’écume,
Heureuse d’aspirer au rivage inconnu,
Et maintenant, assis au bord du cap qui fume,
J’ai traversé ces flots et j’en suis revenu.

Et j’aime encor ces mers autrefois tant aimées,
Non plus comme le champ de mes rêves chéris,
Mais comme un champ de mort où mes ailes semées
De moi-même partout me montrent les débris.

Cet écueil me brisa, ce bord surgit funeste,
Ma fortune sombra dans ce calme trompeur ;
La foudre ici sur moi tomba de l’arc céleste
Et chacun de ces flots roule un peu de mon cœur.

Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Œuvre posthume (1873)