Le 15 avril 1912, le plus grand et luxueux paquebot du monde sombrait après avoir heurté un iceberg dans l’Atlantique Nord, avec à son bord quelques 2 200 passagers et membres d’équipage. Au-delà du drame humain, le naufrage du Titanic de la White Star a brutalement remis en cause un progrès technologique ininterrompu depuis le milieu du XIXe siècle. Retour à bord d’un mastodonte des mers.
Le mercredi 10 avril 1912, “la merveille des merveilles” (pour reprendre les termes de l’époque) appareille de Southampton pour son voyage inaugural et prend la direction de New York par un temps splendide. Avec 270 mètres de long et 46 000 tonnes, le navire constitue une véritable prouesse technologique, résultat d’une guerre commerciale impitoyable autour du transport passager dans l’Atlantique Nord.
A bord du Titanic, des hommes d’affaires, rois de la finance ou de l’industrie, et des Américains fortunés attirés par les mondanités européennes prennent place en première classe. En dessous, une clientèle intermédiaire se compose d’universitaires, ecclésiastiques, ingénieurs et autres touristes moins fortunés. En troisième classe, enfin, une masse impressionnante d’émigrants dont les origines géographiques ne connaissent pas de frontière.
Un paquebot sous haute sécurité
Les constructeurs du Titanic annoncent fièrement un niveau de sécurité jamais atteint. Le navire est protégé par quinze cloisons et seize compartiments, la fermeture des portes étanches s’effectue depuis la passerelle par commande électrique en cas de rentrée d’eau et les bâtiments comportent un double fond limité à la partie inférieure de la coque.
Au niveau de la propulsion, l’ingénieur Andrews (qui fera partie des victimes de la catastrophe) renonce à un système moteur fondé uniquement sur la turbine et imagine deux machines à vapeur classiques de 15 000 chevaux qui encadrent une turbine basse pression prévue uniquement pour la marche avant. La puissance totale transmise aux trois arbres d’hélices peut ainsi atteindre 45 000 chevaux pour une vitesse de croisière de 21 à 22 nœuds. La vapeur est elle fournie par 29 chaudières et 159 foyers.
Le Titanic, un chef-d’oeuvre de modernité
A l’intérieur, l’éclairage constitué de 10 000 ampoules est assuré par des moteurs auxiliaires. L’énergie électrique, qui dépasse celle consommée par une ville moyenne, est fournie par quatre dynamos d’une puissance de 400 kilowatts. L’installation téléphonique est également considérée comme l’une des plus modernes de l’époque : le système intérieur est doté d’une capacité de 50 lignes et le bateau est équipé d’une installation TSF type Marconi de grande puissance.
Le système de navigation (compas, barre, table traçante, loch…) est lui aussi à l’avant-garde de la technologie. Le bâtiment dispose d’un appareil de détection acoustique d’obstacles immergés. Grâce à ses dimensions impressionnantes, le Titanic est à l’abri des plus violents coups de mer, sans oublier son double fond qui lui permet de résister à un talonnage ou un échouage. Le bateau peut même continuer à flotter avec deux compartiments principaux inondés.
L’insubmersible Titanic
Tous les organes majeurs du navire (chaufferie, machines, turbine) sont placés dans des compartiments indépendants. En cas de voie d’eau, cinq pompes de ballast en liaison avec trois pompes de cale ont une capacité d’évacuation de 400 tonnes d’eau à l’heure. Et pour en finir avec l’aspect purement technique du mastodonte, la protection contre l’incendie est remarquable. Des détecteurs de fumée et de chaleur sont installés dans tous les locaux névralgiques en liaison avec un centre de sécurité capable d’intervenir à l’endroit menacé dans les délais les plus courts.
L’insubmersible Titanic est à lui seul le meilleur instrument de sauvetage. En témoigne une campagne de presse soigneusement orchestrée où le plus grand paquebot du monde est présenté comme un chef-d’oeuvre de l’architecture navale, notamment au sujet du luxe de ses installations.
Entre luxe et démesure
Les passagers de première classe voyagent dans des conditions d’hygiène plus que privilégiées pour l’époque. Finies les salles à manger étroites, enserrées entre deux rangées de cabines plus ou moins aérées et mal éclairées. Place aux vastes salons, fumoirs pour les hommes, boudoirs pour les femmes, salles de lecture ou de gymnastique, promenades à l’abri des embruns, escaliers moquettés, ascenseurs, piscine, boutiques et autres commodités.
La salle à manger, où toutes les règles de bienséance sont de mise, mesure à elle seule 40 mètres de long sur 28 de large et peut accueillir jusqu’à 550 convives… Le tout, évidemment, dans un décor aussi classique que féerique.
Les passagers de deuxième classe ne sont pas en reste. Si les installations ne rivalisent pas avec celles de première, ils bénéficient des mêmes avantages et surtout d’un confort étonnant avec des vrais lits, des salles de bain et des bibliothèques. A la surprise générale, les passagers de troisième classe découvrent quant à eux des dortoirs ne dépassant pas dix couchettes ; une initiative de la White Star qui compte ainsi attirer un maximum de passagers.
Des passagers triés sur le volet
A l’extérieur, le Titanic se fait remarquer par l’élégance et la pureté de ses lignes signées Alexander Carlisle. Les ponts supérieurs, peints en blanc et prolongés par deux bandes sur les gaillards avant et arrière, se détachent de l’ensemble de la coque peinte en noir. Les superstructures limitées à trois étages n’écrasent pas l’ensemble du navire, le nombre de manches à air a été réduit au maximum et l’ensemble est surmonté par quatre cheminées inclinées à dix degrés, couleur chamois avec une bande noire au sommet.
Pour son voyage inaugural, le Titanic transporte des passagers triés sur le volet, parmi lesquels le major Butt, aide de camps du président des Etats-Unis Taft. Il y a aussi William Stead, propriétaire de la revue Pall Mall Gazette ; John Astor, un des hommes les plus riches du monde ; Benjamin Guggenheim, le roi du cuivre ; George Widener, le roi des tramways, ou encore Bruce Ismay, le président de la White Star.
Un départ dans l’euphorie et la congratulation générale
L’Etat-major lui aussi est à la hauteur de l’événement avec le capitaine Smith, qui passe pour le commandant le plus expérimenté de l’Atlantique et pour qui il s’agit (dans tous les sens du terme) du dernier voyage. Les officiers sélectionnés ont également une solide expérience, du premier lieutenant Murdoch au second Wilde en passant par le deuxième officier Lightoller. Au total, l’équipage compte 894 personnes.
Le Titanic semble donc paré pour traverser l’Atlantique Nord dans l’euphorie générale, tous se congratulant réciproquement de la réussite assurée de la traversée. Un seul homme, cependant, garde la tête froide depuis le départ. Il s’agit de Thomas Andrews, le directeur technique des chantiers de Belfast, qui note infatigablement et minutieusement , jour et nuit, toutes les imperfections et modifications éventuelles. Il sait que dans l’empressement, les essais ont été réduits au strict minimum et que le nombre de canots de sauvetage disponibles, en cas de naufrage, est insuffisant. (Lire la suite)
-> Lire aussi Retour sur le Titanic I : la merveille des merveilles
->Lire aussi Retour sur le Titanic II : l’agonie d’un géant
© Vivien Brochud